AU FIL DES SEMAINES > L’ACTU – Les fusions et acquisitions transfrontalières au cœur d’enjeux géopolitiques internationaux

Les opérations de fusions et acquisitions n’ont jamais été aussi nombreuses dans le monde. Mais attention, ces F&A peuvent, parfois, entrer en collision avec les intérêts nationaux des pays. Comprendre ces intérêts nationaux s’avère alors essentiel pour éviter toute mésaventure. Ou en tirer parti.

Partout dans le monde, les fusions et acquisitions (F&A) transfrontalières ont atteint un record en 2015 depuis la crise financière de 2007. Et ce en dépit des nombreux obstacles auxquels sont confrontés régulièrement ces F&A transfrontalières : obstacles économiques, culturels, géographiques, mais aussi parfois politiques. Ces dernières années ont été le témoin d’un regain de comportements protectionnistes, non seulement dans les pays où l’intervention de l’Etat est généralement plus prononcée (comme la France, la Russie, l’Allemagne, ou le Japon), mais aussi dans les pays anglo-saxons tels que les Etats-Unis. Les autorités publiques peuvent décider de venir s’immiscer dans le processus de F&A menés par les entreprises afin d’empêcher la mainmise de certaines technologiques par des pays étrangers, ou s’assurer que les F&A ne se fassent pas au détriment de l’économie nationale (en termes d’emploi ou d’innovation).

Tensions géopolitiques entre les Etats-Unis et la Chine dans les allées de Wall-Street 

Les Etats-Unis, impliqués dans 40% des acquisitions transfrontalières de 2015, ont vu très récemment leur marché des acquisitions devenir le théâtre de tensions géopolitiques avec la Chine.

Les tensions géopolitiques entre les Etats-Unis et la Chine ne sont ainsi pas seulement palpables dans les mers de Chine méridionale ; elles le sont aussi dans les allées de Wall-Street. Car, en cette période d’élection présidentielle, les entreprises chinoises, dont les velléités d’acquisition d’actifs clés aux Etats-Unis sont de plus en plus fortes (notamment dans le secteur des hautes technologies) sont dans le collimateur de l’administration Obama et du congrès Américain.

Appartenant à l’Etat chinois, aidées et/ou connectées (ou suspectées d’être connectées) à ce dernier, les entreprises chinoises sont considérées par certains à Washington comme le bras armé de la République populaire de Chine. Pour cette raison, les acquisitions qu’elles mènent aux Etats-Unis sont étroitement surveillées et peuvent être interdites lorsqu’elles sont jugées contraires aux intérêts nationaux américains et pouvant mettre en cause la sécurité économique et politique des Etats-Unis.

C’est ce qu’a appris, en février dernier, à ces dépens le groupe néerlandais Philips. Désireux de se recentrer sur ses activités médicales et liées à la santé, le groupe Philips souhaitait céder sa filiale Lumileds, basée en Californie, à un consortium d’entreprises asiatiques pour un montant de plus de 3 milliards de dollars. Lumileds est spécialisée dans les solutions d’éclairage pour professionnels et particuliers. Mal lui en a pris. Le CFIUS (Committee on Foreign Investment in the United States), comité réunissant des représentants du Trésor Américain, des départements de la Justice et de la Défense, a décidé de bloquer ce rachat au nom de la sécurité nationale des Etats-Unis. En cause, la participation, parmi ce consortium, d’investisseurs Chinois et le risque de transfert de technologie jugée critique.

Le groupe américain, Fairchild Semiconductor International, a quant à lui, très récemment, décliné la proposition de rachat de l’entreprise chinoise China Resources Microelectronics. Et ceci, en dépit d’une très belle offre d’environ 2.5 milliards de dollars. Pour Fairchild Semiconductor International, le risque d’être recalé par le CFIUS était perçu comme trop important. Présent dans le secteur des semi-conducteurs, la technologie de Fairchild est en effet utilisée dans certains matériels militaires (comme les drones).

Intervention des autorités publiques et ces conséquences dans le processus de F&A

L’existence de frictions géopolitiques n’est cependant pas le propre des transactions sino-américaines. Il est fréquent que les pays cibles aient recours à différents leviers réglementaires et économiques pour s’opposer ou entraver un processus d’acquisition.

L’intervention des autorités publiques peut viser non seulement à bloquer le rachat par une entreprise étrangère, mais aussi à modifier les termes de la transaction dans un sens plus favorable aux intérêts nationaux du pays de la firme-cible (en termes d’innovation ou d’emploi par exemple). Les acquéreurs étrangers peuvent aussi voir le coût de l’acquisition grimper, mettant en péril la profitabilité de la F&A. Car lorsque la qualité des relations internationales se dégrade, les entreprises-cibles sont mieux à même de se défendre, au travers de l’intervention (ou de la menace d’intervention) des autorités publiques locales, contre une acquisition perçue comme peu favorable. Par-là, elles peuvent espérer augmenter leur pouvoir de négociation à la table des discussions.

C’est ce que montre une étude publiée dans la revue Strategic Management Journal parOlivier Bertrand, professeur de stratégie à Skema Business School à Paris, et Marie-Ann Betschinger, chercheur en management à l’université de Fribourg, en Suisse. Leur étude empirique, portant sur plus de 700 opérations de F&A internationales de grande envergure au cours de la période 1990-2008, montre un lien inverse clair entre le prix d’acquisition et la qualité des relations internationales. Ainsi la prime d’acquisition offerte aux actionnaires de l’entreprise cible peuvent grimper de 25%, lorsque les relations bilatérales entre pays de l’acquéreur et pays de la firme-cible sont tendues.

Lors du processus de fusions et acquisitions internationales, les entreprises se doivent ainsi d’intégrer très en amont la dimension géopolitique pour en éviter les écueils. Et ce d’autant plus qu’il existe des frictions politiques fortes entre pays de l’entreprise acheteuse et pays de la firme-cible. L’exemple de Philips ou Fairchild Semiconductor International montré précédemment souligne que toutes les parties prenantes à la F&A peuvent être concernées, acheteurs comme vendeurs. Ces entreprises doivent ainsi, dans une première étape, comprendre dans quelle mesure l’activité rachetée peut entrer en opposition avec les intérêts nationaux des pays, que ceux-ci soient de nature économique ou davantage politique.

Faute de réflexion préalable, le risque est alors grand de voir l’opération de F&A échouer ou être retoquée, mettant un frein à la stratégie de développement souhaitée par les entreprises. Dans un second temps, acheteurs et vendeurs doivent évaluer leur forces et faiblesses respectives autour de la table de négociation : il s’agira alors essentiellement pour la firme acquéreuse de comprendre et d’anticiper le comportement de son interlocuteur (la firme-cible et/ou le vendeur) et d’analyser ses ressources et compétences en matière d’influence politique : Est-ce que l’entreprise-cible a intérêt à attirer l’attention des pouvoirs publiques et si oui, dans quelle mesure pourrait-elle arriver à mobiliser les autorités publiques derrière elle ? Inversement, l’entreprise-cible devra s’interroger sur la capacité de l’acquéreur à neutraliser l’intervention publique ou à limiter ses effets.

Laurence Capron(*)

(*)Professeur de stratégie à l’INSEAD et titulaire de la Chaire Paul Desmarais. Elle dirige le programme pour les dirigeants M&As and Corporate Strategy. Elle a écrite le livre « Build, Borrow or Buy: Solving the Growth Dilemma« .)

>> Ce billet a été co-écrit avecOlivier Bertrand (SKEMA Business School

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